Remonter aux commanditaires des assassinats politiques est une entreprise difficile et complexe, il faut bien l’avouer. Toutefois, il demeure indispensable de maintenir la pression. Et pour cause, les générations futures ne doivent pas revivre les années de braise d’une décennie noire qui a été marquée par la violence des membres de la Ligue de protection de la révolution, les assassinats politiques (Lotfi Nagdh, Belaid et Brahmi) et par les actes terroristes qui ont visé nos forces militaires et sécuritaires.
Après le verdict prononcé en mars 2024 par la 5e chambre criminelle spécialisée dans les affaires terroristes près le Tribunal de première instance de Tunis à l’encontre de 23 accusés, le collectif de défense dans l’affaire de l’assassinat de Belaid et de Brahmi a fait appel du jugement. Hier, lundi 18 novembre, s’est tenue la première audience.
Le collectif ne lâche pas du lest
La mort, le 14 février 2014, du principal suspect dans cette affaire, Kamel Gadhgadhi, suite à un raid mené à Raoued par une force d’intervention antiterroriste et les jugements prononcés à l’encontre des personnes impliquées, n’ont pas été en mesure de dévoiler tout le mystère autour des commanditaires de l’assassinat du martyr Chokri Belaïd survenu le 6 février 2013. En cette période, des doigts accusateurs avaient pointé Ennahdha présidé par Rached Ghannouchi, parti majoritaire au pouvoir. L’interconnexion entre les différentes branches constituant le réseau du salafisme et ce parti n’était plus à démontrer. Mais il fallait beaucoup plus pour démanteler un système mafieux mis en place avec le concours de certains hommes politiques et «homme de loi» qui ont mangé à tous les râteliers.
Cet assassinat qu’on ne peut qualifier que de politique, vu l’animosité de ce parti et ses dirigeants à l’égard de cette figure progressiste, avait conduit à une série de parodies de procès sous l’égide du magistrat et ancien Procureur de la République près le Tribunal de première instance de Tunis Bechir Akremi visant à protéger aussi bien les personnes politiques en place à cette époque que de hauts cadres sécuritaires qui, bizarrement, n’ont pas été en mesure d’éviter l’assassinant nonobstant des renseignements recueillis par plusieurs services sécuritaires spécialisés.
Plongés dans une indifférence et un amateurisme sidérant, ces hauts cadres sécuritaires ont, en quelque sorte, laissé les mains libres aux exécutants. Ils n’ont pas été dérangés pour autant, puisque leur audition dans le cadre du procès n’a pas révélé d’éléments susceptibles de mettre en doute leur impartialité dans l’accomplissement de leurs devoirs, selon l’appréciation de l’ancien juge en question. Ce n’est qu’après le 25 juillet 2021 qui a coïncidé avec le 64e anniversaire de la proclamation de la République tunisienne, que les têtes ont commencé à tomber. L’ancien magistrat Bechir Akremi et de hauts cardes sécuritaires ont été les premiers à payer le prix. Ils se trouvent aujourd’hui derrière les barreaux aux côtés d’anciens dirigeants politiques du parti Ennahdha.
L’affaire de l’organisation secrète du parti Ennahdha et celle de la chambre noire au ministère de l’Intérieur ont depuis refait surface. Le dossier de l’organisation secrète a été transféré au pôle judiciaire antiterroriste en 2023 et des accusations ont été adressées à l’encontre de certains dirigeants et membres du parti Ennahdha dont Mustapha Khedher actuellement en fuite, ainsi que des cadres sécuritaires dont un directeur général des services spéciaux.
Le collectif de défense dans l’affaire de l’assassinat de Chokri Belaïd et de Brahmi, en dépit de ces arrestations, n’a eu de cesse de souligner lors des conférence de presse organisées dans le cadre de cette affaire de rappeler que les dossiers seront toujours ouverts tant que les commanditaires et les parties qui ont financé l’assassinat n’ont pas été démasqués et poursuivis en justice. C’est pourquoi, après le verdict prononcé le 27 mars 2024 par la 5e chambre criminelle spécialisée dans les affaires terroristes près le Tribunal de première instance de Tunis à l’encontre des 23 accusés allant de deux ans de prison à la peine de mort, le collectif a fait appel du jugement.
Report du procès et rejet de liberté provisoire
La première audience de cette affaire s’est tenue hier, lundi 18 novembre, devant la chambre criminelle spécialisée dans les affaires de terrorisme de la Cour d’appel de Tunis. Le procès a été reporté suite à une demande formulée par les avocats des parties civiles pour approfondir l’examen du dossier.
La demande de mise en liberté de deux accusés en détention provisoire a été aussi rejetée. Lors de cette audience, plus de 20 accusés actuellement en détention ont été transférés de leur lieu d’incarcération pour comparaître devant la Cour, tandis que d’autres suspects, poursuivis en état de liberté, étaient également présents.
Certes, Kamel Gadhgadhi a été tué en 2014 et le ministre de l’Intérieur a déclaré à cette époque que «c’était le plus beau cadeau qu’on puisse faire à la mémoire de Chokri Belaïd», mais il va sans dire qu’avec la mort de Gadhgadhi c’est toute la vérité sur cette affaire qui a été enterrée.
Dans le cas des assassinats politiques, l’ingérence de parties étrangères est difficile à démontrer.
D’autant que Chokri Belaïd est devenu après 2011 l’ennemi juré des salafistes choyés par le pouvoir en place. L’idéologie du martyr Belaïd et son programme politique ainsi que ses visions futures perturbaient la vision stratégique des marionnettistes de ce qui fut le «printemps arabe» qui ont apporté un ferme soutien au pouvoir en place.